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🕓 Temps de lecture : 7 minutes
Ecrit par Beryl le 16 juin 2021
La semaine dernière, la Ministre de la Culture du Mexique, Alejandra Frausto, a demandé des explications à des marques, telles que Zara, Isabel Marant ou Anthropologie. La raison : ces marques ont utilisé des éléments culturels de différents peuples autochtones mésoaméricains dans leurs collections. La Ministre de la Culture mexicaine a donc demandé à ces marques de se justifier concernant la "privatisation d'une propriété collective". Mais c'est loin d'être la première fois que ce mécanisme d'appropriation culturelle est à l'œuvre dans la mode. On décrypte ça pour vous.
L'appropriation culturelle est généralement définie comme l'utilisation par des membres de la culture dominante d'éléments provenant de cultures dominées, en dehors de leur contexte d'origine et sans rétribution des profits engendrés.
Cette définition implique donc la coexistence dans la société d'une culture dominante et d'une culture dominée : l'appropriation culturelle n'est possible que lorsqu'il existe un rapport inégalitaire entre deux groupes sociaux. L'appropriation culturelle est donc le fait pour des personnes de la culture dominante de s'approprier des éléments culturels d'une culture dominée, en ne prenant pas en compte le contexte culturel d'origine de cet élément.
Ainsi, lorsque que Victoria Secret fait défiler la mannequin Karlie Kloss avec une coiffe amérindienne en 2012, la marque utilise un objet culturel des peuples autochtones amérindiens en galvaudant totalement l'utilisation initiale de cet objet.
Karlie Kloss, pendant le défilé Victoria's Secret en 2012.
Cette situation peut être qualifiée d'appropriation culturelle, puisque le mannequin n'a aucune origine amérindienne, et que le port de ce genre de coiffe est particulièrement encadré dans la culture des peuples natifs américains. Ainsi, ce type de coiffe est censé être porté dans le cadre de cérémonies religieuses, car elles sont fortement chargées de symbolique, or elle est portée lors d'un défilé en lingerie. Enfin, on considère qu'il s'agit d'appropriation culturelle car Karlie Kloss, qui fait partie de la communauté dominante (états-unienne blanche), s'approprie un élément culturel d'une culture dominée, alors que les peuples natifs américains sont encore aujourd'hui ostracisés pour leur appartenance culturelle. C'est donc dans ce rapport de force que réside l'appropriation culturelle.
Cet exemple permet également de mettre en évidence les logiques post-coloniales qui sont à l'œuvre dans les phénomènes d'appropriation culturelle.
Le colonialisme a formé le monde d’aujourd’hui et nous ne pouvons en ignorer ses effets.
James V Spickard, 2018.
La colonisation européenne occidentale, par les rapports qu'elle a forcé entre les populations colonisées et colonisantes, a mis en place les rapports sociaux actuels. Ces rapports de force entre les peuples anciennement colonisés et les peuples colonisants sont toujours visibles aujourd'hui, dans les discriminations que vivent les personnes racisées au quotidien — race est entendu au sens sociologique, c'est-à-dire que la race constitue un groupe social construit sociologiquement, et non une réalité biologique.
Quand on aborde la question de l'appropriation culturelle, le contre-argument souvent utilisé est que les cultures ont toujours échangé, et que c'est grâce à ces échanges que toutes les cultures ont pu évoluer.
Mais deux choses peuvent être vraies en même temps : les échanges culturels existent et permettent effectivement à chacun.e de s'enrichir ; l'appropriation culturelle existe aussi, et ne permet qu'à la culture dominante de s'enrichir, au dépens d'une culture dominée.
Et c'est bien dans ce rapport de force que réside le problème de l'appropriation culturelle. Mettre en avant un "échange culturel" et refuser de voir l'appropriation là où elle apparaît est en réalité un privilège que seuls les groupes dominants ont. Dans une société où les rapports de force entre groupes sociaux existent bel et bien, ces rapports inégalitaires se matérialisent donc par un accès différencié à la culture dominante, et par l'assignation à une place différenciée au sein de cette-dernière.
Ainsi, de nombreux exemples permettent de voir à quel point certaines situations démontrent de cet accès différencié à la culture dominante. En effet, le problème majeur de l'appropriation culturelle vient du fait que les éléments appropriés par la culture dominante sont les mêmes éléments pour lesquels les cultures dominées sont discriminées. Par exemple, lorsqu'une personne noire porte ses cheveux au naturel ou avec des tresses traditionnelles, cela est qualifié de "non-professionnel", à tel point que cela a pu être interdit, comme dans le cas du lycée Bel Air en Guadeloupe. Parallèlement, la mannequin Kendall Jenner fait la une de Vogue avec une coupe imitant une coupe afro, bien sûr sans mettre en avant les problématiques que rencontrent les personnes noires par rapport à leurs cheveux.
Photos de Kendall Jenner dans le magazine Vogue. Elle porte une coupe voulant imiter la coupe afro, alors que les femmes noires sont encore empêchées de travailler lorsqu'elles portent cette coupe, qui correspond pourtant à leur cheveux naturels.
De quel droit des personnes qui sont en position de pouvoir peuvent-elles accumuler les ressources, les artefacts et les idées de celles qui le sont moins, et en les appliquant de telle manière qu’elles ignorent les créateurs de ces idées, biens et artefacts ?
James V Spickard, 2018.
Ce double standard se matérialise notamment dans une distribution asymétrique des profits générés par l'appropriation culturelle. Par exemple, lorsque Kim Kardashian s'approprie des tresses Fulani et génère des bénéfices grâce à cette appropriation, aucun profit n'est reversé aux femmes noires qui ont été discriminées parce qu'elles portent les mêmes tresses.
L'appropriation culturelle s'applique aussi aux vêtements, notamment par l'appropriation de motifs ou de tenues traditionnelles. Ces éléments sont copiés, et utilisés hors du contexte pour lequel ils sont utilisés normalement. De nombreuses marques se sont illustrées dans ce type d'appropriation : Victoria's Secret qui utilise une coiffe amérindienne en 2012, Dior qui vole les designs traditionnels roumains en 2018...
Comparaison entre le modèle présenté par Dior en 2017 et les tenues traditionnelles roumaines, datant du début du XX° siècle.
La demande de la Ministre de la Culture mexicaine s'explique donc par une industrie de la mode qui montre peu d'égard vis-à-vis de l'appropriation culturelle. D'autant plus que cette problématique touche particulièrement les peuples autochtones : les populations autochtones ont développé des cultures et des savoir-faire traditionnels et spécifiques, dont la propriété intellectuelle est souvent non prise en compte, notamment dans la mode. La question de la propriété intellectuelle des peuples autochtones est un véritable enjeu, puisque sans propriété intellectuelle, c'est la protection et la transmission de savoir-faire traditionnels qui est menacée.
Pour cette raison, la propriété intellectuelle du patrimoine culturel des peuples autochtones est une notion qui est apparue en 2007 :
Les peuples autochtones ont le droit de préserver, de contrôler, de protéger et de développer leur patrimoine culturel, leur savoir traditionnel et leurs expressions culturelles traditionnelles, ainsi que [...] leur littérature, leur esthétique[...]. Ils ont également le droit de préserver, de contrôler, de protéger et de développer leur propriété intellectuelle collective de ce patrimoine culturel, de ce savoir traditionnel et de ces expressions culturelles traditionnelles.
Article 31 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
L'utilisation non-consentie et/ou non-rémunérée de motifs traditionnels dits "ethniques", de tenues ou d'accessoires considérés comme "exotiques" relève donc de l'appropriation culturelle. Dans le cas des peuples autochtones, une telle appropriation constitue la "privatisation d'une propriété collective" par la culture dominante, qui porte préjudice aux personnes autochtones, qui sont encore aujourd'hui discriminées.
Podcasts
DIALLO Rokhaya, LY Grace et PADJEMI Jennifer. Nos corps appropriés. Kiffe ta race. Binge Audio. 15 ocotobre 2019. 39 min..Articles
CHENG, Andrea. « Why So Many Asian-American Women Are Bleaching Their Hair Blond ». The New York Times. 9 avril 2018.
GORDIEN, Ary. « La coupe afro : une simple histoire de cheveux ? ». La Vie des idées. 21 mai 2019.
SPICKARD, James V. « Sommes-nous en train de piller les marbres d’Elgin ? Les défis de la contestation de l’hégémonie intellectuelle occidentale », Revue du MAUSS, vol. 51, no. 1, 2018.
Ouvrages
CHOLLET, Mona. Beauté fatale : les nouveaux visages d’une aliénation féminine. Paris : Zones. 2012.
SOUMAHORO Maboula. Le Triangle et l'Hexagone. Paris : La Découverte. 2020.
BERLOQUIN-CHASSANY, P. « Créateurs africains de mode vestimentaire et labellisation « ethnique » (France, Antilles, Afrique de l'Ouest francophone) », Autrepart, vol. 38, no. 2, 2006.
DARSIGNY-TREPANIER, M., NEPTON-HOTTE, C., JÉRÔME, L. et UZEL, J-P., L’appropriation culturelle et les peuples autochtones : entre protection du patrimoine et liberté de création, Montréal, GRIAAC, 2019.
Courrier International : Le Mexique accuse Zara d'appropriation culturelleTags : Les enquêtes